Qu'est-ce que le cyberpunk ?

[julietrichet]

Coucou à tous. Je suis tombée par hasard sur cette section du forum.

Du coup, cette question m'est venue à l'esprit : qu'est-ce que le cyberpunk ?

J'attends vos réponses avec impatience.

[Myfanwi]

Le cyberpunk est un sous-genre de la science-fiction.

Pour le comprendre complètement, il faut d'abord expliquer ce qu'est le steampunk. Le steampunk, de "steam", la vapeur, et "punk", qui représente plus ou moins le futur, est un sous-genre de l'uchronie qui cherche à montrer un futur basé sur le XIXe siècle, si la machine à vapeur était devenue notre évolution technologique principale. Cela donne des mondes aux voitures qui fonctionnent à la vapeur, avec des zeppelins. Le steampunk a aussi une esthétique particulière (celle de la Belle Epoque) et est caractérisée principalement par son exubérance (structures titanesques) et son engagement. Le steampunk a une dimension inclusive très forte et le plus souvent positive.

Maintenant, pour tout genre littéraire créé, on voit rapidement se construire un contre-genre qui en reprend les caractéristiques et vient le contredire. Le cyberpunk est né dans une volonté de contredire le steampunk, jugé justement trop exubérant, peu réaliste et trop positif.

Contrairement au steampunk où tout est très brillant et très lumineux, le cyberpunk, c’est un voyage dans les ténèbres et les pires crasses de l’humanité. Le terme cyberpunk est né en 1984. Il se base sur le cybernétique, c’est-à-dire la science du gouvernement des hommes, et le « punk », qui se base donc sur le futur comme nous l’avons vu plutôt. C’est un genre de la science-fiction qui mêle hard science-fiction (=cette science-fiction plus science que fiction) et dystopie (= un monde en train de sombrer). Les mondes qui y sont présentés sont sombres, lugubres même et présentent des sociétés souvent divisées entre très riches (les corporations, en général) et très pauvres, avec beaucoup de violence et de pessimisme. On en est au point où cette fracture ne peut plus être réparée.

Les personnages sont dans la majorité des cas des anti-héros très sombres, à la morale douteuse et qui ont perdu tout espoir de sortir de leur condition un jour. Ils évoluent dans un monde le plus souvent proche de notre futur, légèrement robotisé. On y trouve ici beaucoup de problématiques concernant des robots qui ont remplacé les hommes… Voir qui évoluent dans les hommes. En effet, le cyberpunk met très souvent en lumière des cyborgs, des androïdes et des intelligences artificielles rejetées qui doivent se démerder pour survivre dans un monde qui les rejette. On se situe bien souvent à la limite de l’apocalyptique et du post-apocalyptique. C’est le moment pivot où le monde, profondément transformé, se rend compte qu’il n’y a plus de retour en arrière possible. Le cyberpunk s’inspire beaucoup du roman noir et du roman policier, on retrouve ainsi beaucoup d’enquêtes dans le tas, sans la censure de la violence.

Le message des récits cyberpunk se veulent très pessimistes. Ils cherchent à alerter sur les dérives de gouvernement et des corporations, et surtout sur leurs conséquences sociales. Leurs intrigues sont basées essentiellement sur une recherche du pouvoir poussée à l’extrême et qui dérape totalement, provoquant la fin du monde. Le mouvement est aujourd’hui en pleine explosion. Ce n’est pas très étonnant quand on voit que la planète est totalement entre les mains de fous avec tous les pouvoirs. Si vous aimez les intrigues politiques, ce genre est totalement fait pour vous !

[Chamane]

Très belle synthèse Myfanwi !

Quelques courts-métrages pour illustrer :

Cyberpunk 2077 teaser trailer

Deus Ex – Human Revolution

Salad Mug

Slice of Life (basé sur le monde de Blade Runner, que l'on peut considérer comme du pré-cyberpunk, dans la mesure où c'est tiré du film de Ridley Scott, sorti en 1982, lui-même inspiré de "Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques" de Philip K. Dick, datant de... 1968)

On y voit bien toute la noirceur de cet univers, et les principales caractéristiques citées par Myfanwi.
En 1984, c'était la sortie de Neuromancien, de William Gibson, qui a rendu le genre visible.
On peut trouver un panorama assez sympathique du style cyberpunk dans l'anthologie "Mozart en verres miroirs", proposée par Bruce Sterling et sortie en 1986 (avec notamment Rock Toujours de Patr Cadigan , Freezone de John Shirley et Étoile Rouge, Orbite Gelée de Sterling et Gibson)

le cybernétique, c’est-à-dire la science du gouvernement des hommes

Euh... tu es sûre de toi, là ?
Parce que ça, c'est la définition étymologique qui n'a plus cours depuis que le sens moderne (en très gros : un mélange de robotique et d'informatique) s'y est substitué.
Même si ton acception fait sens (dans la mesure où le thème de l'omniprésence des cartels est largement exploré), je crois que le "cyber-" évoque ici plutôt la haute technologie que la gouvernance.

C’est un genre de la science-fiction qui mêle hard science-fiction (=cette science-fiction plus science que fiction) et dystopie (= un monde en train de sombrer).

Je voudrais nuancer tes deux définitions :

La hard science-fiction ne se résume pas à la science. Elle couvre un courant d'anticipation "réaliste" où l'on explore un futur probable. Pour le cyberpunk, effectivement, on rentre dans cette catégorie, mais la science n'y est pas vraiment visible, sauf sous l'angle d'une omniprésente haute-technologique complètement geek. Et je me pose une question de fond : Gibson était-il vraiment visionnaire, ou bien le monde est-il devenu ce qu'il est aujourd'hui, influencé par l'existence de son œuvre ?

Une dystopie ne décrit pas nécessairement un monde en train de sombrer. Par définition, la dystopie est le contraire d'une utopie. En gros, c'est un monde cauchemardesque. Rien ne dit qu'il est appelé à disparaître rapidement

[Myfanwi]

Une dystopie ne décrit pas nécessairement un monde en train de sombrer. Par définition, la dystopie est le contraire d'une utopie. En gros, c'est un monde cauchemardesque. Rien ne dit qu'il est appelé à disparaître rapidement

Je ne suis pas entièrement d'accord puisqu'aujourd'hui, il y a plus de genres et de termes pour pointer cette réalité (dystopie, apocalyptique et post-apocalyptique, notamment), c'est plus complexe que ça Et puis, l'horreur explore des mondes cauchemardesques. La Dark Fantasy explore des mondes cauchemardesques, mais ce ne sont pas de la dystopie, donc la définition n'est pas assez précise :D Je pense qu'il faut obligatoirement une notion de société dans la dystopie, ce qui l'oppose à l'apocalyptique, qui met l'accent sur l'environnement (les films catastrophes de l'après-midi sur TMC) et au post-apo qui met l'accent sur l'individu (et la survie de manière générale).

Et quand on a ces trois distinctions, on est bien embêtés parce que le cyberpunk, c'est bien souvent les trois à la fois, puisqu'on a des inspirations apocalyptiques (modifications de l'environnement, souvent en bidonvilles monstrueux ou cités hyper-technologiques) et post-apocalyptiques très fortes également (typiquement, le très récent jeu vidéo Stray, qui est totalement dans ce cas et qui présentent des individus qui ont clairement l'esthétique cyberpunk et qui tentent de survivre dans un monde détruit) qui s'y ajoutent très souvent. En tout cas, il y a une notion de monde qui sombre/a sombré dans tous les cas.

La seule différence avec ses cousins, c'est que la dystopie peut finir bien (= la destruction est stoppée, et donc nouvelle ère) ou mal (=plongée apocalyptique), ce qui est généralement le cas en cyberpunk. Là où dans les deux autres cas, le monde va être détruit ou a déjà été détruit.

Pour le cybernétique, j'ai recopié d'un vieil article que j'avais rédigé il y a quelques années ahaha, mais oui, je suis d'accord.

[Chamane]

Pour le cybernétique, j'ai recopié d'un vieil article que j'avais rédigé il y a quelques années

N'empêche, je trouve que même avec la vieille acception, ça fait sens. Du coup, le terme est élégant et véhicule finalement plus qu'on pourrait le penser au premier abord. J'adore ces surprises sémantiques

Et puis, l'horreur explore des mondes cauchemardesques. La Dark Fantasy explore des mondes cauchemardesques, mais ce ne sont pas de la dystopie

Les roses sont des fleurs.
Les marguerites sont des fleurs, les coquelicots sont des fleurs, mais ce ne sont pas des roses.
Entièrement d'accord !

En tout cas, il y a une notion de monde qui sombre/a sombré dans tous les cas.

Je n'ai pas cette perception.
Je trouve le cyberpunk noir dans son exécution, mais pas nécessairement dans ses perspectives, pour deux raisons :

• parce qu'à l'échelle des individus et de l'espèce, j'y sens toute l'opiniâtre résilience qui permet de s'adapter, bon gré mal gré, au moins jusqu'à demain, puis au lendemain, et ainsi de suite. J'y sens des transitions systémiques, mais plus sous l'angle du renouveau permanent dans l'adversité. La trilogie de la Conurb, celle du Pont débouchent toutes deux sur un nouvel ordre, avec des perspectives non explorées, mais des perspectives tout de même.
  Pour prendre une analogie actuelle : les souches mutantes d'un virus doivent-elles nécessairement se voir sous l'angle de l'effondrement des souches dont elles sont issues ?
  Oui et non à la fois. Ça dépend du regard que l'on porte, de sa propre sensibilité.

• parce qu'à l'échelle de l'Univers et de la Vie, ces transitions n'ont strictement aucune importance.

Étant donné que ces raisons sont très liées à ma philosophie du monde, j'ai pleinement conscience que cela n'en fait pas des vérités universelles. Ce que je trouve fascinant, justement, c'est la diversité de points de vue autour d'une réalité factuelle.
Un verre dont 50% du volume est liquide est-il à moitié vide ou à moitié plein ?
Faut-il se concentrer sur ce verre, ou faut-il intégrer toute la réalité qui l'entoure ?

[Mie]

Vous avez oublié de parler du Punkmachin.

[Chamane]

Je crains que Myfanwi ne capte pas la référence
Myfanwi : lorsque j'ai écrit mes premiers textes cyberpunk sur le forum, Mie a appelé ça du "punkmachin", et c'est resté ^^

[Mario]

Excellent exposé au début, les argumentations qui suivent risquent peut-être d'embrouiller les esprits non initiés.

Je vais être plus simple et la jouer comme les frères Bogdanov.

Il y a la matière physique qu'on connaît, on vit dedans avec un corps physique.
Il y a la pensée, donc quand on pense.
Il y a l'imagination, quand on imagine des tas de choses.
Il y a les rêves la nuit pendant le sommeil, qui reproduisent notre réalité.

Le cyber c'est une imitation de tout ça au moyen de l'informatique et des ordinateurs.
Avec l'intelligence artificielle qui est une imitation de la pensée humaine.

À la base, le cyber est la possibilité de vivre la vie sur un autre plan que la réalité physique. Puisque c'est l'informatique qui offre cette possibilité.

Le cyber aurait pu être un niveau de plus ajouté à la conscience humaine, et offrir des moments de détente et de joie. C'est ce qui se passe avec les jeux vidéos et maintenant la 3D dans laquelle on peut s'immerger avec des casques.

Aussi le cyber est censé faciliter la communication grâce à l'électronique, Internet, les smartphones et autres.

Mais le cyber se dirige doucement vers une dictature, orchestrée par un groupe de personnes qui a décidé que le monde devait être comme ça et pas autrement. Jacques Attali le dit dans une interview : « Le but est de créer l'homme objet, entièrement connecté à la machine, la seule façon pour lui et ses adeptes de créer l'homme immortel. »

Donc le cyber va vers le transhumanisme, la création d'un humain supérieur, appelé post-humain, aux capacités physiques et psychiques dépassant celles des humains ordinaires. Et aussi un humain qui sera entièrement sous contrôle, privé de libre-arbitre, devenu un esclave de la machine et d'une élite dominante.

Pour mettre en place cette idéologie, il y a une manipulation la conscience collective pour nous faire croire que nous vivons dans une matrice (mot devenu à la mode) ; et que l'intelligence artificielle peut ressentir des émotions et penser par elle-même. Le film "Alita" en est un bon exemple.

Pour résumer, le cyber n'est pas négatif à la base, mais c'est l'orientation qu'on lui fait prendre qui va vers le négatif, au détriment de la liberté humaine, et des vraies valeurs de la vie avec la nature.

Et le punk dans tout ça ?

Punk fait référence au mouvement punk des années 70 avec des groupes comme les Ramones et les Sex Pistols.
C'est un mouvement rebelle qui s'oppose à tout ce qui est socialement formaté, et qui prône une liberté d'exister envers et contre tous.

Il faut surtout le prendre dans son expression agressive et violente, avec son slogan légendaire "No Future" (pas de futur donc pas d'avenir pour l'homme).

On comprend mieux alors que le cyber, utilisé pour soumettre l'être humain, ne peut conduire qu'à la révolte, à l'agressivité et à la violence, pour se libérer de la dictature électronique imposée progressivement par étapes.

[Chamane]

Ah bah c'est sûr, c'est beaucoup plus simple ainsi
Comme suggéré, je ne dirai donc rien, pour ne pas embrouiller les non-initiés

Au fait, il n'avait pas été question à une époque de mettre tous les commentaires dans la section commentaire correspondant à la fiche de base ?
J'dis ça...

[julietrichet]

Merci a tous pour vos réponses très intéressant et enrichissante .