Poètes disparus

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Mario
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Poètes disparus

Message par Mario »

Vous pouvez poster des poèmes de poétesses et de poètes que vous aimez !

Fombeure

ET S'IL PLEUT CETTE NUIT

Le vent passe à grands coups de vagues dans les roses.
Il rebrousse les eaux, les plumes, le sommeil,
Et les chats assoupis, sur leurs métamorphoses
Sentent l’aube et l’odeur de la mer au réveil.

Il pleut sur le printemps, sur tout, sur les étoiles.
Ne crois-tu pas la nuit qu’il pleut depuis toujours
Quand sur ces vieux chevaux maigres, boiteux et sourds
J’entends jurer sans bruit les cochers de l’averse.

Maurice Fombeure, À dos d'oiseau
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Mario
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Jammes

J’AIME DANS LE TEMPS…

J’aime dans le temps Clara d’Ellébeuse,
l’écolière des anciens pensionnats,
qui allait, les soirs chauds, sous les tilleuls
lire les magazines d’autrefois.

Je n’aime qu’elle, et je sens sur mon cœur
la lumière bleue de sa gorge blanche.
Où est-elle ? Où était donc ce bonheur ?
Dans sa chambre claire il entrait des branches.

Elle n’est peut-être pas encore morte
– ou peut-être que nous l’étions tous les deux.
La grande cour avait des feuilles mortes
dans le vent froid des fins d’Été très vieux.

Te souviens-tu de ces plumes de paon,
dans un grand vase, auprès de coquillages ?...
on apprenait qu’on avait fait naufrage,
on appelait Terre-Neuve : le Banc.

Viens, viens, ma chère Clara d’Ellébeuse :
aimons-nous encore si tu existes.
Le vieux jardin a de vieilles tulipes.
Viens toute nue, ô Clara d’Ellébeuse.

Francis Jammes : "De l'angélus à l'aube à l'angélus du soir" 1898
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Béalu

VOIX DES ARBRES

Les arbres timides et forts
La nuit parlent à voix haute
Mais si simple est leur langage
Qu'il n'effraie pas les oiseaux

Près du cimetière où les morts
Remuent leurs lèvres de cendre
Le printemps en flocons roses
Rit comme une jeune fille

Et parfois comme le cœur
Prisonnier du vieil amour
La forêt pousse un long cri
En secouant ses barreaux

Marcel Béalu
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Muselli

LES ÉPICERIES

Le soleil meurt : son sang ruisselle aux devantures ;
Et la boutique immense est comme un reposoir
Où sont, par le patron, rangés sur le comptoir,
Comme des cœurs de feu, les bols de confitures.

Et, pour mieux célébrer la chute du soleil,
L'épicier triomphal qui descend de son trône,
Porte dans ses bras lourds un bocal d'huile jaune
Comme un calice d'or colossal et vermeil.

L'astre est mort ; ses derniers rayons crevant les nues
Illuminent de fièvre et d'ardeurs inconnues
La timide praline et les bonbons anglais.

Heureux celui qui peut dans nos cités flétries
Contempler un seul soir pour n'oublier jamais
La gloire des couchants sur les épiceries !

Vincent Muselli
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Desnos

J’AI TANT RÊVÉ DE TOI

J’ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité.
Est-il encore temps d’atteindre ce corps vivant
Et de baiser sur cette bouche la naissance
De la voix qui m’est chère ?
J’ai tant rêvé de toi que mes bras habitués
En étreignant ton ombre
À se croiser sur ma poitrine ne se plieraient pas
Au contour de ton corps, peut-être.
Et que, devant l’apparence réelle de ce qui me hante
Et me gouverne depuis des jours et des années,
Je deviendrais une ombre sans doute.
Ô balances sentimentales.

J’ai tant rêvé de toi qu’il n’est plus temps
Sans doute que je m’éveille.
Je dors debout, le corps exposé
À toutes les apparences de la vie
Et de l’amour et toi, la seule
qui compte aujourd’hui pour moi,
Je pourrais moins toucher ton front
Et tes lèvres que les premières lèvres
et le premier front venu.

J’ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé,
Couché avec ton fantôme
Qu’il ne me reste plus peut-être,
Et pourtant, qu’à être fantôme
Parmi les fantômes et plus ombre
Cent fois que l’ombre qui se promène
Et se promènera allègrement
Sur le cadran solaire de ta vie.

Robert Desnos, À la mystérieuse, Corps et biens, 1930
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Verlaine

CLAIR DE LUNE

Votre âme est un paysage choisi
Que vont charmant masques et bergamasques
Jouant du luth et dansant et quasi
Tristes sous leurs déguisements fantasques.

Tout en chantant sur le mode mineur
L'amour vainqueur et la vie opportune,
Ils n'ont pas l'air de croire à leur bonheur
Et leur chanson se mêle au clair de lune,

Au calme clair de lune triste et beau,
Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres
Et sangloter d'extase les jets d'eau,
Les grands jets d'eau sveltes parmi les marbres.

Paul Verlaine, Les fêtes galantes.


Debussy s'est inspiré de ce poème (voir sur Youtube).
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Mon poème préféré - Mon kiki se serre à chaque fois que je le lis. Je le lis et pourtant, je le connais par cœur.

Aragon

QUE SERAIS-JE SANS TOI

Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre
Que serais-je sans toi qu'un cœur au bois dormant
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre
Que serais-je sans toi que ce balbutiement.

J'ai tout appris de toi sur les choses humaines
Et j'ai vu désormais le monde à ta façon
J'ai tout appris de toi comme on boit aux fontaines
Comme on lit dans le ciel les étoiles lointaines
Comme au passant qui chante on reprend sa chanson
J'ai tout appris de toi jusqu'au sens du frisson.

Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre
Que serais-je sans toi qu'un coeur au bois dormant
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre
Que serais-je sans toi que ce balbutiement.

J'ai tout appris de toi pour ce qui me concerne
Qu'il fait jour à midi qu'un ciel peut être bleu
Que le bonheur n'est pas un quinquet de taverne
Tu m'as pris par la main dans cet enfer moderne
Où l'homme ne sait plus ce que c'est qu'être deux
Tu m'as pris par la main comme un amant heureux.

Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre
Que serais-je sans toi qu'un cœur au bois dormant
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre
Que serais-je sans toi que ce balbutiement.

Qui parle de bonheur a souvent les yeux tristes
N'est-ce pas un sanglot de la déconvenue
Une corde brisée aux doigts du guitariste
Et pourtant je vous dis que le bonheur existe
Ailleurs que dans le rêve ailleurs que dans les nues
Terre terre voici ses rades inconnues.

Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre
Que serais-je sans toi qu'un cœur au bois dormant
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre
Que serais-je sans toi que ce balbutiement.

Louis Aragon, Le roman inachevé (1956)
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Laforgue

LA CIGARETTE

Oui, ce monde est bien plat ; quant à l’autre, sornettes.
Moi, je vais résigné, sans espoir, à mon sort,
Et pour tuer le temps, en attendant la mort,
Je fume au nez des dieux de fines cigarettes.

Allez, vivants, luttez, pauvres futurs squelettes.
Moi, le méandre bleu qui vers le ciel se tord
Me plonge en une extase infinie et m’endort
Comme aux parfums mourants de mille cassolettes.

Et j’entre au paradis, fleuri de rêves clairs
Ou l’on voit se mêler en valses fantastiques
Des éléphants en rut à des chœurs de moustiques.

Et puis, quand je m’éveille en songeant à mes vers,
Je contemple, le cœur plein d’une douce joie,
Mon cher pouce rôti comme une cuisse d’oie.

Jules Laforgue
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Breton

ÉPERVIER INCASSABLE

À Gala ÉLUARD

La ronde accomplit dans les dortoirs ses ordinaires tours de passe-passe. La nuit, deux fenêtres multicolores restent entr'ouvertes. Par la première s'introduisent les vices aux noirs sourcils, à l'autre les jeunes pénitentes vont se pencher. Rien ne troublerait autrement la jolie menuiserie du sommeil. On voit des mains se couvrir de manchons d'eau. Sur les grands lits vides s'enchevêtrent des ronces tandis que les oreillers flottent sur des silences plus apparents que réels. À minuit, la chambre souterraine s'étoile vers les théâtres de genre où les jumelles tiennent le principal rôle. Le jardin est rempli de timbres nickelés. Il y a un message au lieu d'un lézard sous chaque pierre.

André Breton, Clair de Terre (1923)
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https://fr.wikipedia.org/wiki/Saint-John_Perse

Ils m'ont appelé l'Obscur, et mon propos était de mer.
L'Année dont moi je parle est la plus grande Année ; la Mer où j'interroge est la plus grande Mer.
Révérence à ta rive, démence, ô Mer majeure du désir…
La condition terrestre est misérable, mais mon avoir immense sur les mers, et mon profit incalculable aux tables d'outre-mer.

Du maître d'astre et de Navigation, Amers.

C'étaient de très grands vents sur toutes faces de ce monde.
De très grands vents en liesse par le monde, qui n'avaient d'aire ni de gîte.
Qui n'avaient garde ni mesure, et nous laissaient, hommes de paille,
En l'an de aille sur leur erre… Ah ! oui, d très grands vents sur toutes faces de vivants.

Vents.

Le bayan de la pluie prend ses assises sur la Ville,
Un polypier hâtif monte à ses noces de corail dans tout ce lait d'eau vive,
Et l'Idée nue comme un rétiaire peigne aux jardins du peuple sa crinière de fille.
Une éclosion d'ovules d'or dans la nuit fauve des vasières,
Et mon lit fait, ô fraude ! à la lisière d'un tel songe,
Là où s'avive et croît et se prend à tourner la rose obscène du poème.

Pluies.

Et puis vinrent les neiges, les premières neiges de l'absence, sur les grands lés tissés du songe et du réel ; et toute peine remise aux hommes de mémoire, il y eut une fraîcheur de linge à nos tempes. Et ce fut au matin, sous le sel gris de l'aube, un peu avant la sixième heure, comme en un havre de fortune, un lieu de grâce et de merci où licencier l'essaim des grandes odes du silence.

Neiges.


Poésie idéale pour celles et ceux qui écrivent de l'heroic fantasy. Ambiances garanties.
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