Le poème en prose

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Mario
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Le poème en prose

Message par Mario »

Baudelaire donne la définition : "Une prose poétique, musicale, sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s'adapter aux mouvements lyriques de l'âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience."

Deux exemples de poèmes en prose :

https://www.poetes.com/textes/rbd_ill.pdf

http://www.bibebook.com/files/ebook/lib ... _paris.pdf

Pour le situer : il y a d'abord le texte de roman, puis le poème en prose, et enfin le poème en vers. Le poème en prose est donc au milieu.

Il prend des éléments du texte de roman, à savoir la prose.
Et des éléments du poème en vers, à savoir son côté lyrique.

On pourrait encore situer :
il y a la prose, et la poésie. Et entre les deux, le poème en prose (ou la prose poétique).

Mais poème en prose ne veut pas dire qu'il faut automatiquement écrire en faisant de la poésie (avec l'idée de faire de la poésie).

Un fait divers, écrit dans un style journalistique, peut devenir un poème en prose. Tout est permis.

Un poème en prose peut être entièrement lyrique ; entièrement objectif  (sans intervention du ressenti émotionnel) ; ou puiser dans les deux, avec des proportions variables (le plus courant).

Parenthèse.

Dans les années 60, Hunter S. Thomson publie le roman "Hell's Angels", une enquête sur le célèbre groupe après avoir vécu avec eux. Il lance la nouvelle vague du journalisme. Le journaliste ne se contente plus de relater les faits, il fait intervenir son ressenti personnel. On parle alors d'un style "ultra subjectif". Style repris par Nick Kent, Lester Bangs, Philippe Manœuvre, et d'autres.

Pour bien situer on peut classer en quatre niveaux :

L'OBJECTIF EXTERNE ou littérature dite blanche, qui fait appel uniquement aux faits physiques, sans aucune intervention émotionnelle (qui brouillerait la réalité). Prônée par certains comme la seule littérature valable. "L'étranger" de Camus en est un bon exemple.
https://www.anthropomada.com/bibliotheq ... ranger.pdf

L'OBJECTIF INTERNE ou littérature noire, comprenant la majorités des romans. Il y a une alternance entre les situations et actions physiques, et les pensées et réactions psychologiques des personnages.

LE SUBJECTIF EXTERNE où prédomine la vie intérieure de l'auteur ou d'un personnage. Assortis de situations physiques qui viennent saupoudrer le grand monologue intérieur.

LE SUBJECTIF INTERNE où la vie psychique et émotionnelle prend toute la place.
"Evguénie Sokolov" de Serge Gainsbourg.

Le poème en prose se situe à tous les niveaux : il peut être aussi bien objectif externe que subjectif interne, objectif interne ou subjectif externe.

Fin de la parenthèse

Un poème en prose obéit aux mêmes lois qu'un roman, il y a une structure en trois parties : une exposition, un développement, un dénouement.

Avec une "chute" finale, la dernière phrase qui peut prendre différentes formes, en apportant les effets les plus variés, mais toujours surprenants.

La mendiante de Naples
Quand j'habitais à Naples, il y avait à la porte de mon palais une mendiante à laquelle je jetais des pièces de monnaie avant de monter en voiture. Un jour, surpris de n'avoir jamais de remerciement, je regardais la mendiante. Or, comme je regardais, je vis que ce que j'avais pris pour une mendiante, c'était une caisse de bois peinte en vert qui contenait de la terre rouge et quelques bananes à demi pourries.
Max Jacob, Le cornet à dés.


En général il est court, pas plus d'une page. Il peut aller d'une phrase à une cinquantaine de phrases. Là encore, tout est permis. Cela dépendra de la façon de traiter un sujet.

Un roman peut être écrit en poésie en prose. Tout est permis.

Ceci dit, il n'y a pas de règles, la seule étant d'exprimer un moment de la réalité physique et/où psychique, selon sa vision du monde intérieur et/ou extérieur, avec ou sans ses émotions.

Le poème en prose serait-il la voie royale dans l'alchimie du verbe ? À vous d'apporter la réponse ! 8)

Vous pouvez compléter à la suite, apporter des précisions, etc.
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Mario
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Re: Le poème en prose

Message par Mario »

Quatre de mes poèmes en prose.

Je suis au milieu d’un pré. Les arbres dressent leurs tentacules de bois violet sous une coupole en acajou turquoise. Des claviers de pianos apparaissent près d’une source qui sort d’un bosquet de plantes rouges. Un lutin bleu court derrière une colombe ivoire. Des tigres verts bondissent dans un champ de marguerites géantes. Dans l’herbe imprégnée de pierreries brillantes, des carrousels roulent leurs mélodies tournantes. Un oiseau fille fouette l’air. De la fumée orange en coquilles d’escargots escalade des collines indigo. Un autobus à impériale bariolé déroule une passerelle à mes pieds. Magical Mystery Tour au pays des merveilles !

Des camions rouges, avec des échelles et des citernes, foncent sous les arcades de la forêt vierge à grands ronflements de moteurs belliqueux. Sirènes et klaxons dans la nuit étoilée. Des flammes plus hautes que le ciel dévorent un building commercial dans un fromager gigantesque aux racines monstrueuses. Affolés, des lutins en collants verts, transportés dans les airs par des multitudes d'elfes, balancent pêle-mêle des seaux d'eau sur les brasiers enragés. Le capitaine des pompiers fait sonner sa belle cloche neuve en métal brillant. Plein de petites bêtes, perchées sur des branches avoisinantes, échangent des commentaires excités. Et bientôt les lances dressées envoient de puissants jets de mousse carbonique blanche sur le corps du feu. Dans un terrier sous l'humus aromatique, un lièvre sorcier marmonne une incantation pour amener la pluie des moussons tropicales. Tout là-haut, dans la forêt des étoiles, la grande nébuleuse d'Orion s'enflamme brusquement dans l'hémisphère austral. Aussitôt la planète Mars se rue à son secours dans la Voie Lactée, avec ses canaux gorgés d'eaux rougeoyantes et trépidantes.

Je me laisse glisser à travers le sol, et me voilà debout dans un atelier de porcelaines et de carillons. D’énormes statues égyptiennes, taillées dans des pierres brillantes et sombres, ornent des voûtes ogivales. Une poussière blanche ruisselle sur mes pieds nus. Des amas de planches s’entassent contre des vieilles horloges d’églises. Une pluie solaire neige de la toiture ouverte sur un vaste ciel de peinture hollandaise. Enfin un charmant jardin anglais déroule ses nappes de pelouses vertes sous des arbres cotonneux couverts de longues banderoles omnicolores. Une vierge d'ivoire noir cueille des roses des sables archétypales. De grandes fontaines bruyantes roucoulent les amours de Neptune et de Vénus. Dans un ravissement extrême, j’existe enfin pour la première fois. Et je sais, le cœur battant, mes autres mémoires, debout sur le seuil du devenir à venir, face aux esquisses anatomiques et astronomiques de mes futurs corps.

Me voilà à califourchon sur le dos d'un éléphant, sous une nuit transparente pleine d'étoiles, le cœur alerte, dominant le monde. Bon enfant, il avance à pas comptés. Sa lourde tête bienveillante ouvre la route. Quand je la caresse, il déroule sa trompe vers le haut pour me toucher. Dans les faubourgs aux herbes folles, des trolls grimaçants et tatoués balancent des cocktails Molotov, qui éclatent en marguerites de flammes sur le macadam. Il vaut mieux quitter le décor urbain pour la campagne aux champs doucement agités par un vent planant. Des bals aux musiques à la mode animent des granges dans le lointain. Sous un petit pont en bois, une sauterelle hystérique saute au cou d'un criquet débonnaire. Bientôt une toute petite pluie d'après-midi anglaise clignote avec délicatesse. L'horizon finit par s'éclairer, une aube se colore, et j'entre avec Ganesha dans le royaume des Indes, au milieu d'un tourbillon de pétales multicolores.
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