Je peux malheureusement difficilement te répondre sur ce point, dans la mesure où je m'appuie exclusivement sur un ressenti 100% instinctif : je sens quand une phrase est heurtée, déséquilibrée, etc. et enquête alors
in situ pour déterminer le responsable.
Je pense que, même si c'est subjectif, ce n'est pas complètement arbitraire : j'ai très souvent remarqué qu'une phrase dont je sens qu'elle ne colle pas, et que je laisse en l'état par manque de temps, flemme ou autre, est souvent pointée du doigt par les relecteurs.
Ce qui complique les choses est qu'un même mot déséquilibrera une phrase, mais en équilibrera une autre. Ça tient au contexte, et aux besoins liés aux mouvements du texte. Un peu comme dans une symphonie où l'on va interpréter certains mouvements
presto,
vivace, ou
adagio (
ma non troppo) : les
adagios tolèreront des mots plus longs, là où les
prestos non.
Plus largement, la sonorité des phonèmes et les accents toniques, les diphtongues/triphtongues, les consonnes molles/dures me semblent jouer également un rôle, car leur succession dégage un rythme précis ou chaotique ou engendre une plus ou moins grande facilité d'énonciation.
Si j'essaie de déterminer d'où me vient cette faculté, je listerais : une lecture purement auditive, la pratique de la poésie en rythme contraint depuis longtemps (40 ans ?), la sensibilité au rythme développée par la pratique de la musique et de la danse, et d'autres pratiques dont vous ne verriez pas le rapport.
En ce sens, tout cela peut sembler éminemment subjectif, mais en fait, ça me semble tomber dans le même registre que lorsqu'on entend que quelqu'un tape à côté de la note en chantant, ou bien se trouve en avance sur la mélodie ou au contraire court après. En ce cas, avoir l'oreille musicale ou le sens du rythme aide, et l'usage de ces sens développent une sensibilité.
Certains possèdent ces sens et pourront développer cette sensibilité plus ou moins aisément, et d'autres pas (et ils vont galérer sur ce point précis).
Pareil pour l'écriture.
Pour l'incise pointée :
C’était [pause, abord de la précision] à ce jour [pause et retour au cours normal] la personne la plus importante dans ma vie
À ce jour [pause après la précision] la personne la plus importante dans ma vie.
La seconde construction me semble plus directe, car elle ne digresse pas.
Bien sûr, il s'agit aussi d'une question de goût ou de mode.
Mais toutes choses égales par ailleurs, je trouve que perdre un lecteur dans une construction inutilement alambiquée nuit à la compréhension du texte.
Je ne dis pas qu'il faut se montrer fluide en toutes circonstances : on peut vouloir être rugueux à certains endroits, mais cela doit rester un effet de style assumé. Prenons l'exemple d'un récit en première personne. Admettons que le héros commence à se perdre dans ses pensées, hésiter, etc., alors, l'usage de structures plus alambiquées illustre bien le propos : il reproduit à l'oreille la difficulté du personnage.
Si à l'inverse on évoque une longue après-midi d'été où la vie coule au ralenti telle un long fleuve, alors l'usage de nombreuses incises nuira au ressenti par d'inutiles allers/retours dans les niveaux d'information : il vaut alors mieux linéariser la phrase.
En bref : il s'agit d'un sens qu'on peut développer et entraîner d'une part, et d'autre part, il n'y a pas de formule magique, mais des effets assumés, à choisir selon les circonstances.
Je tiens également à préciser que malgré l'assurance que j'affiche sur ces points, j'estime avoir encore d'immenses marges de progrès