Qu'est-ce qui fait l'originalité d'un texte selon vous?

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Philicare
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Re: Qu'est-ce qui fait l'originalité d'un texte selon vous?

Message par Philicare »

Romane a écrit :
Mario a écrit : Et il doit y avoir de l'émotion, c'est le facteur principal.
En général je suis d'accord sur le fait qu'il faut de l'émotion mais j'ai plusieurs exemples montrant le contraire :
Une nouvelle série vient de sortir sur netflix : c'est un jeune qui ne ressent rien […]
Un autre exemple est un livre : l'étranger de Albert Camus. Le personnage ne ressent rien non plus, […]
Tu n'as pas compris. Quand on parle d'émotion, on ne parle pas de l'émotion ressenti par le personnage, on parle de l'émotion ressenti le lecteur — spectateur, auditeur, etc.

Quand l'étranger ne ressent rien en évoquant la mort de sa mère, nous, ça nous remue, ça nous fait froid dans le dos.

L'absence d'émotion chez un personnage (caractéristique classique du méchant) nous glace, nous procure donc une émotion très forte. Je devrais dire « des » émotions très fortes, qui peuvent aller de la pitié à l'effroi en passant par l'aversion.
Philicare
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Re: Qu'est-ce qui fait l'originalité d'un texte selon vous?

Message par Philicare »

On a parlé de beaucoup de choses intéressantes, dans ce sujet.

J'en ajouterai deux qui me semblent capitales.

D'abord le POINT DE VUE. Un auteur, un artiste, c'est quelqu'un qui ne fait pas que décrire, aussi justement le ferait-il, mais qui donne aussi un point de vue sur l'histoire et, partant, un point de vue sur la vie. Son point de vue.

Son point de vue — je ne parle pas de son « avis » —, c'est une façon originale de voir bien sûr, mais c'est surtout voir en donnant du sens. Et c'est être capable de transmettre le sens — invisible à nous tous — contenu par l'action la plus banale.

En tout cas, deux histoires peuvent être radicalement différentes suivant le point de vue qu'on adopte. On peut le comprendre facilement en choisissant deux personnages différents comme protagoniste. Mais le point de vue, ça va bien au-delà du choix du protagoniste.

Ensuite, l'originalité, ce peut être aussi un ensemble de choix communs qui produisent un objet inédit ou plus complexe.
« Un homme aime une femme » est un choix commun.
« Un père a une fille » est un choix commun.
Mais si j'ajoute là-dessus que « la femme aimée par cet homme est sa propre fille » alors tout à coup on atteint une originalité qu'on n'aurait pas soupçonnée des deux choix communs (j'espère qu'on comprend qu'il ne s'agit pas d'amour filiale, ici…).

Et concernant ces choix, j'ai l'impression qu'il est important de comprendre — si l'on veut progresser dans son originalité — qu'ils sont de deux sortes : les choix volontaires et les choix que j'appellerais « de nature ».

Le choix volontaire, c'est l'auteur qui refuse telle ou telle idée, telle ou telle approche, tel ou tel traitement, parce qu'il les a déjà (trop) vus/lus/entendus. Il se refuse à répéter. C'est le choix qui demande une certaine culture, et une volonté délibérée. Hugo, King me semblent être des représentants de cette approche (même si j'ai bien conscience que ce genre d'affirmation est toujours dangereuse).

Le choix de nature, c'est le choix involontaire, inconscient, que fait l'artiste en fonction de sa propre nature. Et plus sa nature est originale, singulière, plus le choix le sera, sans aucune action velléitaire de sa part. Modiano, Amélie Nothomb me semblent être dans cette catégorie. Quoi qu'il/elle touche, sans aucune volonté délibérée d'originalité, ce qu'ils produisent sera original. Ce sont des originaux, ils produisent de l'originalité — beaucoup de gens tentent l'inverse : ils s'échinent à produire de l'originalité pour faire croire qu'ils sont originaux.

Si j'avais à trouver un représentant qui userait harmonieusement de ces deux types de choix, bizarrement, je ne le chercherais pas dans la littérature. Je prendrais plutôt quelqu'un comme David Lynch, qui sous ses airs d'appartenir à la seconde catégorie n'en est pas moins beaucoup plus conscient et volontaire dans sa recherche d'originalité qu'il essaie de le laisser penser. Il le prouve par exemple quand il décide de faire des scènes archétypales ou quand il nous donne des leçons magistrales de mise en scène.
Verrouillé